lundi 22 octobre 2012

Le Prestige - Christopher Priest



De quoi ça parle ?
Alfred Borden et Rupert Angier, deux prestidigitateurs hors du commun, s’affrontent dans un duel sans merci, dans la seconde moitié du XIXe siècle. Description adaptée de l’éditeur – et inutile d’en dire plus.

C’est comment ?
Ce roman épistolaire, récit d’une concurrence acharnée entre deux artistes et aux allures de guerre psychologique, physique et économique est un long frisson que le visionnage antérieur du film de Nolan n’entame en rien. Bien au contraire : connaître les secrets de magie que Borden et Angier inventent pour s’illustrer dans l’Angleterre victorienne offre une relecture passionnante du conflit. 
Priest crée des protagonistes puissants, certes entièrement tournés vers leur métier – on n’en sortira guère – mais nuancés. Là où Rupert Angier se montre arrogant, prétentieux et un peu bête, Alfred Borden s’avère réfléchi, honnête et intelligent. Tandis que le second devient obsédé et flirte avec la folie que son « numéro » (nous ne le révélerons pas ici) instille peu à peu, le second regrette bientôt le conflit qu’il a contribué à entretenir. La grande surprise du livre vient d’ailleurs de cet Angier. La forme qu’a choisie Priest pour transcrire son existence y est pour beaucoup : un journal intime que l’illusionniste tient de manière épisodique dès l’âge de neuf ans. Son évolution se révèle au fil des décennies, d’une entrée à l’autre.
Borden, lui, livre son existence en une somme rédigée vers la fin de sa vie, où l’on ne saisit qu’à la conclusion – sauf si l’on a vu le film – l’ampleur du sacrifice que son métier a impliqué, que sa réussite a exigé. De l’énormité de ce tour, l’Homme Transporté, dépendra d’ailleurs la mort de plusieurs individus. Quel artiste pourrait vivre en toute sérénité avec un tel poids sur la conscience ?

Une histoire contemporaine encadre ces deux témoignages : celle des descendants des magiciens, dont la rivalité sans merci a engendré des conséquences près d’un siècle après le dernier baisser de rideaux. Le récit d’Andrew Borden, journaliste obnubilé par l’existence d’un jumeau fantôme qui s’adresserait à lui à l’aide d’une voix intérieure, convainc moins que l’histoire de Kate Angier : l’héritière du comte magicien ressasse un traumatisme d’enfance, directement lié aux événements du passé.
L’époque est quant à elle trop esquissée pour vraiment passionner. Un choix cependant en accord avec la forme du témoignage : les protagonistes conte un long affrontement et c’est  sans aucun doute cela qui a motivé l’auteur. Avec en corollaire ce bénéfice pour le lecteur : point de longues descriptions techniques et historiques. On en trouvera toutefois bien plus que dans cette autre bataille de magiciens parue récemment : Le Cirque des rêves. Autrement dit suffisamment pour dresser une scène vivante et dotée d’un peu de profondeur de champ.

Priest a énormément de talent. Et il en faut pour proposer un récit à points de vue multiples, comme autant de témoignages directs. Le "je" épistolaire multiplié par quatre, rien moins que cela. L’exercice est périlleux : il faut accorder à chaque témoin une voix particulière, une façon de voir singulière et qui le distingue très vite des autres. Omission ou dissertation, emphase ou retenue : voilà de quoi montrer, de quoi vivre des mêmes événements avec autant de nuances que de protagonistes. Priest excelle à ce jeu où la subjectivité est une maîtresse captivante, généreuse en mensonges et demi-vérités.

Nolan a eu l’intelligence de choisir ce roman pour en composer un film original, aux rebondissements parfois plus cruels encore que ceux de Priest, évacuant de son scénario ce qui en aurait terni l’efficacité, compromis l’immersion : pas question de revenir au présent, par exemple et de s'intéresser aux descendants. Sa direction d’acteur a tiré le meilleur de comédiens au registre pas toujours très étendu - Christian Bale.  En metteur en scène bourré de talent, il a su créer une atmosphère tour à tour follement élégante, intrigante et enfin d’une profonde noirceur. Une œuvre et son adaptation qui se complètent et se valorisent : l’occasion est trop rare pour s’en priver.


Excellente traduction de Michelle Charrier.

A noter : Priest a tiré son histoire d'une confrontation bien réelle : celle qui opposa Giuseppe Pinetti et Edmont de Grisy.

0 commentaires: